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« SURVIE » un terme galvaudé

« SURVIE » un terme galvaudé - Welkit

« SURVIE » un terme galvaudé

PAR ALBAN CAMBE

Ces dernières années, le terme de “survie” est employé un peu n'importe comment. Ce mot est en effet utilisé dans des contextes bien différent : shows télévisuel, jeux vidéo, guides et stages… Nous posons donc la question : qu'est ce que la survie finalement ?

SURVIE ET BUSHCRAFT, QUELLES DIFFÉRENCES ?

Voilà plusieurs années déjà que l'on voit sur le petit écran une multitude de personnes, plus ou moins bien expérimentés et intentionnées d'ailleurs, tenter de nous apprendre les gestes de base nécessaire à la survie. Malgré tout, ce genre d’émissions n'a pas pour objectif la pédagogie et l’altruisme : c'est plutôt une tenace quête d’audimat, parfois même au delà de nos frontières. Nous sommes donc témoin de défilés de gesticulations toutes plus folles les unes que les autres : ça peut aller à la "dégustation" d’urine à des cascades où les accessoires de sécurité sont discrètement dissimulés voire coupés au montage.

Mais ce type d'émission a le mérite d’attirer de nombreux curieux, depuis les aventuriers en herbe jusqu’aux amoureux des grands espaces, vers le monde de la “Survie”. Mais sous ce terme se cache en réalité un ensemble de connaissances et de savoir-faire qui doivent permettre à chacun de faire face à un événement inattendu pouvant résulter sur une détresse vitale immédiate. On survit ainsi à une catastrophe (un crash aérien, une attaque terroriste) ou l’on parvient à s’extirper d’une situation extrêmement complexe (perdu au milieu d’une forêt sans moyen de communication, être pris au piège sous des décombres suite à un séisme). En résumé, on parlera de survie lorsqu'on est vraiment “dedans”...et jusqu’au cou ! Mais un autre terme a fait son apparition. Comme la queue d’une comète derrière le phénomène “survie”, est apparue la discipline du “Bushcraft” pouvant être vue comme la simple application des gestes pouvant nous sauver la vie dans un contexte de loisir.

Pour illustrer l’importance du contexte dans ces représentations falsifiées, prenons deux exemples de scénarios très proches :

1 – Janvier : vous effectuez, seul, une randonnée de plusieurs jours. Le programme : la découverte des grands espaces montagneux en France. Au détour d’un petit sentier accidenté, vous tombez dans un ruisseau gelé. La glace cède sous le choc et vous voilà trempé. Et la température avoisine les 0 °C. Au prix d’efforts considérable, vous parvenez à regagner la berge. Problème : vous commencez à ne plus sentir vos doigts, vous grelottez et vous entrez en hypothermie. Vous sortez votre matériel de camping, mais vos allumettes ont pris l’eau et votre briquet refuse de s’allumer... Vous vous souvenez que vous avez un firesteel, ou vous tentez d’allumer un feu par friction. Pour votre survie, au sens littéral du texte, il faudra être en mesure de se souvenir et d’effectuer des gestes précis (se déshabiller, allumer un feu). Ce sont ces gestes qui vont déterminer si vous allez vous en sortir. Ou si l’on devra attendre les beaux jours et le passage d’autres randonneurs pour vous rapatrier auprès de votre famille...

2 - Janvier : vous effectuez, seul, une randonnée de plusieurs jours. Le programme : la découverte des grands espaces montagneux en France. Au détour d’un petit sentier accidenté, vous repérez un ruisseau gelé. C’est un superbe endroit pour pique-nique, même s’il fait environ 0 °C. Dans le but de vous offrir une tasse de thé réconfortante, vous voulez allumer un feu. Ça tombe bien, vous aviez repéré en amont des bouleaux morts sur pied ainsi que des sapins aux branches desséchées. Donc pourquoi ne pas s’amuser un peu avec votre firesteel ? Sur le chemin, vous récoltez du lierre. Cela pourrait vous servir à faire du feu par friction. Profitez-en pour mettre à l’épreuve votre dextérité.

Dans cette deuxième situation, ce sont les mêmes connaissances, les mêmes gestes, les mêmes savoirs faire qui sont mis à l'épreuve, à une seule différence majeure : il n'y a aucune dimension d’urgence vitale. Dans ce cas là on parlera alors de “Bushcraft”, que l'on pourrait traduire littéralement par “artisanat de la brousse”.

En contexte, la survie est donc une situation où la personne va prendre les mesures nécessaires pour échapper à la mort. Donc c’est du sérieux, on évitera de se retrouver volontairement dans ce type de situations. La pratique des gestes et techniques hors conditions dangereuses sera ainsi considérée comme un loisir : le Bushcraft. Les stages labellisés “survie” seront ainsi orientés vers des méthodes qui pourraient (le conditionnel est important) vous sortir d’un mauvais pas, mais, même s’ils nous poussent hors de notre zone de confort, ces séjours en immersion dans la verte ne nous placeront jamais (hors moniteurs irresponsables) dans un contexte de détresse vitale.

LES LIMITES DU CORPS HUMAIN

Alors, vous voulez survivre ? Connaissez-vous bien vos limites ? Découvrir la survie, c’est aussi se découvrir soi-même et apprendre à se connaître. Sans étude personnalisée (que tout un chacun est libre d’expérimenter sur sa personne), on peut énoncer les limites moyennes pour un humain lambda. Ces principes ont été énoncés par Ron Hood, pionnier de la démocratisation de ces savoir-faire, il les a regroupés sous “la règle des trois”. Un humain ne peut survivre en moyenne plus de :

3 secondes sans vigilance : un accident est si vite arrivé ! Tentez de conduire à 150 kilomètres par heure et fermez les yeux juste 3 secondes... Essayez dans un jeu vidéo plutôt que dans la vraie vie. En milieu naturel, les embûches ne manquent pas : branche dans l’œil, arbre qui tombe, précipice...

3 minutes sans oxygène : même si les records d’apnée dépassent aisément la dizaine de minutes, sans apport continu de ce gaz contenu dans l’air, notre organisme et, a fortiori notre cerveau, est en souffrance. Cela illustre également l’urgente nécessité de la réanimation cardiopulmonaire lors d’un arrêt cardiaque afin de continuer à oxygéner les centres nerveux.

3 heures sans protections : que ce soit face au froid, face à la pluie ou même face à un soleil de plomb, on ne survivra pas plus de quelques heures sans moyen de se prémunir des éléments. Sous nos latitudes, on sera davantage concerné par des températures basses et l’humidité, d’où la nécessité de savoir édifier un abri et d’allumer un feu.

3 jours sans eau : l’eau est un constituant fondamental de la vie sur terre, elle permet les réactions métaboliques et l’équilibre moléculaire et minéral dans notre milieu intérieur. Je vous vois venir avec la fameuse question “peut-on boire son urine ?”.Je ne vais pas vous répondre et vous invite donc à tester par vous-même.

3 semaines sans nourriture : ces ravissants bourrelets accumulés après les fêtes ont une fonction bien précise, le tissu adipeux accumule de l’énergie. Selon la corpulence cette durée peut être allongée ou raccourcie. En dernier recours, l’organisme attaque ses réserves de muscles pour subsister et il ne restera alors plus que “de la peau sur les os”.

3 mois sans contact social : tout spectateur ayant assisté au monologue de Tom Hanks avec un ballon de football baptisé Wilson dans le film “Seul au monde/Cast Away” comprendra déjà l’importance psychique du dialogue et du contact humain. Sans stimulation extérieure, le moral est en berne. La raison peut s’effacer et laisser l’individu sombrer dans le désespoir ou la folie qui mettront sa vie sur la sellette.

Attention : quid de l’hygiène ?

Si Hood proposait initialement une durée maximale de 3 mois sans hygiène, le bon sens et le vécu ont vite eu fait de rétrograder cette tâche en position quotidienne. La toilette revêt une valeur stabilisatrice de l’équilibre psychologique en situation de survie, une routine quotidienne rassurante en quelque sorte. Mais l’on peut, sans se baigner soigneusement, simplement s’observer sous toutes les coutures pour s’assurer qu’aucun visiteur indésirable ne s’est glissé sous nos vêtements. Dans nos contrées, les tiques sont parmi les envahisseurs les plus récurrents (et les plus énervants), ces bestioles peuvent inoculer de nombreuses bactéries, dont la responsable de la maladie de Lyme. Sans aller jusqu’à cette extrémité, l’auteur a pu expérimenter plusieurs fois, la nécessité de les éliminer au plus vite, une infection bénigne pouvant vite se muer en un panaris handicapant (qui aura tout loisir de s’empirer par la suite) ou entraîner le gonflement d’un membre. En situation de survie, imaginez-vous tenter de vous dépatouiller avec un pied, un bras, une main gonflés comme un bibendum !

LE SENS DES PRIORITÉS

Le jour où votre vie sera vraiment en danger, il y a fort à parier que vous n’en mènerez pas large, incapable de restituer la plupart des apprentissages tranquillement acquis durant vos week-ends. Pour se sortir d’une mauvaise passe, un système simple et intellectuellement peu exigeant doit pouvoir venir nous prêter main-forte. Les membres des Special Air Service (SAS, forces spéciales Britanniques) ont ainsi développé un acronyme facile à retenir et permettant de se remémorer l’ensemble des tâches nécessaires à la survie. On dira alors qu’il faut toujours avoir un P.L.A.N !

P comme Protection : en plaçant en amont tous les soucis médicaux de première urgence, la protection regroupe l’ensemble des mesures à prendre pour se soustraire aux dangers les plus immédiats. Si par miracle vous avez survécu à un crash d’avion, il va falloir vous assurer de votre intégrité physique (et vous soigner le cas échéant si l’environnement le permet), vous éloigner de la carcasse de l’aéronef qui menace d’exploser, vous édifier un abri contre les conditions climatiques puis éventuellement un feu pour vous tenir chaud. Il est important de hiérarchiser les tâches à réaliser en fonction du contexte : je ne vais pas me faire des points de suture dans un avion en flammes, je n’allume pas un feu alors que mon camarade se vide de son sang.

L comme Localisation : anglicisme pour définir les différentes façons de se signaler aux secours. Par principe, une partie de ces mesures seront prises en même temps que la Protection en bâtissant un abri tape-à-l’œil avec des débris colorés, en allumant un feu repérable de loin, en écrivant un message contrasté avec l’environnement. Il s’agira de se rendre le plus visible possible pour les équipes de recherche. Avant de vous lancer dans l’apprentissage du code morse (désuet de nos jours), vérifiez que votre téléphone portable fonctionne toujours, un simple appel peut sauver des vies !

A comme Acquisition : en se référant à la règle des 3, l’eau est la première denrée pour laquelle il faudra absolument se mettre en quête. Si le séjour improvisé se pro¬longe, la nourriture deviendra nécessaire et s’engagera alors une somme de connaissances considérables sur les ressources comestibles (plantes, animaux, chasse et piégeage...). Mais d’aucuns signaleront qu’il faut également chercher à récolter le plus de matériaux utiles possible même s’ils ne finiront pas dans votre panse : initiateurs de feu, fibres naturelles pour cordage, pierres à tailler pour réaliser des outils coupants, etc...

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Connaître les ressources utiles, comestibles et médicinales est au cœur du Bushcraft[/caption]

N comme Navigation : les secours ne sont toujours pas venus et vous commencez à vous sentir bien seul dans votre coin. Il va falloir songer à migrer. La navigation regroupe l’ensemble des disciplines d’orientation et de déplacement en milieu hostile. Que vous ayez une boussole entre les mains ou que vous connaissiez les étoiles et les plantes indiquant le Nord, vous aurez également à cheminer en terres inconnues pour espérer rejoindre une forme de civilisation. Ce périple peut exiger de vous des séances d’escalade, de rafting ou simplement une endurance suffisante pour marcher des centaines de kilomètres avec de bien maigres ressources.

CONCLUSION

Ainsi la “Survie” est une porte d’entrée vers l’exploration de savoir-faire et de connaissances regroupées au sein du “Bushcraft”. Ce dernier se pratique en loisir, même si l’on peut tout à fait chercher à se mettre au défi en conditions hostiles (avec les filets de sécurité nécessaires). Tout pratiquant doit apprendre à connaître les limites de son propre organisme, mais également les mesures à prendre en cas de situation chaotique. Différentes philosophies animent les adeptes de la “Survie”, certains sont toujours prêts et voient leur subsistance comme une tâche quotidienne (survivalistes) ; d’autres y vont à la dure, équipés de leur matériel de bivouac parfois conséquent quitte à négliger les ressources naturelles environnantes (sur le modèle des commandos) ; enfin, certains s’engagent vers le dénuement le plus total et cherchent à satisfaire l’ensemble de leurs besoins par des matériaux disponibles dans la nature (Bushcraft dit “primitif”). Chacun verra midi à sa porte, soyons juste conscient que cette somme de techniques et de principes est héritée de temps immémoriaux où nos ancêtres préhistoriques luttaient quotidiennement pour, au sens propre, survivre. Sans eux, aucun de nous ne serait sur cette terre, cherchons donc à leur rendre hommage avec une pratique humble et raisonnée de cet art ancestral. Merci à eux.

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